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Rentrée accadémique pas très accadémique

lundi 2 février 2009, par Tatou

A dix neuf ans, Kome avait décroché brillamment son baccalauréat scientifique après une année scolaire au collège Mazenod à Ngaoundéré. A peine commençait-il à savourer la joie de ce succès que la question de la suite de ses études universitaires se posait avec acuité. Il avait sans conviction pris une inscription à la faculté de science à Yaoundé et restait en expectative armée pour sauter sur la moindre occasion qui lui permettrait d’engager des études ailleurs. Cette occasion lui fut donnée par un ancien coopérant qui lui proposa une inscription en cours de préparation des écoles d’ingénieurs.

Kome déserta la faculté de science de Yaoundé et se mit à faire des remplacements d’enseignant dans les collèges privés de la ville. Parallèlement, il acceptait les cours de rattrapage en privé pour accumuler le plus d’argent possible. Cette course effrénée vers le cumul d’argent était indispensable car, Kome n’avait pas de bourse et ne pouvait pas compter sur ses parents démunis. Non sans mal, il réussit à obtenir un passeport et un visa long séjour pour la France. Administrativement, tout était fin prêt pour son départ tant souhaité. Il se prépara tant bien que mal, ne connaissant rien de la France. Son départ était prévu pour début octobre. Dans sa valise, se trouvait ses vêtements tropicaux, quelques paires de samara, et son nécessaire de toilette. Dans un gros sac à main, il avait mis de la victuaille, de quoi résister pendant les premiers mois de séjour : arachides, tapioca, poisson frit, patates douces bouillies et séchées… Enfin, son sac à main contenait d’autres victuailles et sa petite radio.

Le jour du départ, muni de ses bagages, de son passeport et de ses économies et de son billet d’avion Camair, il se pointa à l’aéroport de Douala, heureux de pouvoir décoller pour la première fois. Le premier obstacle fut celui du surplus de bagages. De négociation en négociation, il était sur le point de rater son vol lors qu’un agent de la compagnie aérienne lui facilita les choses en fermant les yeux sur le problème de bagages. Kome constata qu’il n’était pas seul comme étudiant. Ils étaient nombreux à partir et chacun se battait comme il pouvait pour être du vol Camair. Au décollage de l’avion, Kome avait l’impression de devenir sourd et se demandait si une maladie n’était pas entrain de bannir tous ses efforts. Malgré ce sentiment désagréable, il lorgna par le hublot la terre camerounaise qui défilait sous lui et une sensation de victoire l’envahit : il pensa tout haut, enfin je pars et je quitte les embrouilles vers d’autres cieux certainement plus cléments. Le voyage se déroula bien entre les périodes de somme et les réveils en sursaut, secoué par les trous d’air ou réveillé par les charmantes hôtesses qui lui proposaient à manger et à boire.

A l’atterrissage, la sensation de surdité revint, accompagnée de l’impression d’une tête lourde, tendue et prête à éclater. Kome ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Il lança un regard à travers le hublot pour apprécier à quelle distance de la terre se trouvait l’avion. Quelle ne fut pas sa surprise de voir en dessous de lui des immenses terrains cultivés. Il commença à douter de la destination de l’avion car, dans son esprit, la France était une immense ville avec des habitations à l’infini ; il n y avait certainement pas de place pour les cultures.

L’entrée dans l’aéroport d’Orly le rassura car, plus proche de son idée de la France. Il suivi le flot de passagers et brutalement, se trouva devant une difficulté non prévue : le tapis roulant. Il voyait ses camarades étudiants avoir tout le mal du monde pour s’y installer. Certains tombaient, d’autres se dandinaient durablement à la recherche d’un équilibre. Kome décida de prendre quelques instants de réflexion avant de s’engager sur cette machine infernale inconnue de son monde. Il commença par maudire l’homme blanc qui par paresse ne pouvait pas marcher sur quelques mètres et se trouvait obligé d’inventer un moyen de facilité qui posait d’autres problèmes. Enfin, il trouva la solution à son problème : la décision fut prise de poser d’abord ses bagages sur le tapis roulant et de s’y engager délesté de ses valises encombrantes. Il s’exécuta et promptement, se rendit compte que ses valises s’en allaient sans lui. Dans la précipitation, il sauta à pieds joints sur le tapis roulant et manqua de s’étaler sur ses bagages. Il mit tout son énergie à trouver l’équilibre et se stabilisa. Une sensation de fierté l’envahit ; il était content de lui-même. C’était un véritable exploit. Il se mit alors à rêver et au terminus du tapis roulant, culbuta sur ses valises et se retrouva à quatre pattes au dessus. Il se releva, tapota sa main droite sur sa main gauche, prit ses valises et se dirigea vers la cabine téléphonique en face.

Un froid perçant le traversa de part en part et ne pouvant rentrer vers le tapis roulant après son expérience, il décida de se précipiter dans la cabine téléphonique pour se protéger. Il regarda ses vêtements pour se convaincre qu’il n’était pas nu. Il était habillé d’un petit boubou brodé à col « v » largement ouvert, associé à un pantalon de toile fin assorti aux broderies du boubou. Il sortit fébrilement son carnet d’adresse et son unique jeton téléphonique et composa le numéro de l’ancien coopérant. Le téléphone sonnait occupé à plusieurs tentatives. Le désespoir prenait place ; seul au monde, il redoutait tout : le tapis roulant, le froid, le téléphone, et l’immensité de la France qui devenait un obstacle infranchissable. A travers la vitre de la cabine téléphonique, il crut reconnaître un garçon qui passait et appela. Bébé ! Bébé ! Le garçon se retourna et ne semblait pas le reconnaître. Kome lui rappela : nous avons fait la classe de 6 e ensembles au collège Sainte Jeanne d’Arc de Nkongsamba, notre professeur principal avait pour pseudonyme « scarabée sacrée » et la directrice était « kua yo ». Bébé reconnut plus les précisions que Kome lui-même. Ce dernier lui expliqua son problème de téléphone et Bébé en un tour de clavier lui tendit le combiné dans lequel tonnait une sonnerie. En fait, il y avait un problème d’indicatif (01) qu’il ne fallait pas composer lorsqu’on était dans la région parisienne. Au bout du fil, la voix du coopérant retentit et après les salutations d’usages, il commença à indiquer la direction et le numéro du métro que Kome devait prendre. Kome gémit en lui disant qu’il ne savait même pas ce qu’on appelait métro.

Le coopérant lui demanda de ne pas bouger de sa position et s’engouffra dans sa voiture pour venir le récupérer. Au bout de cinquante minutes, il arriva muni d’un gros manteau avec lequel il recouvrit Kome, mit le chauffage de la voiture à fond et s’engagea sur des routes sinueuses qui donnaient le tourniquet. Kome tremblait au point de ne pas pouvoir articuler un seul mot. Les constructions défilaient devant ses yeux et sa seule satisfaction se trouvait dans l’adéquation de la France réelle à la France de son imagination de départ. A destination, une tisane bien chaude l’aida à retrouver ses esprits et il commença à donner des nouvelles.

Ses hôtes l’invitèrent à passer la nuit dans un lit douillet dans lequel il se glissa rapidement et sombra dans un sommeil profond. Ce sommeil fut ponctué par des réveils pour guetter l’apparition du soleil ou le chant d’un coq : la nuit restait obstinément noire comme si le jour refusait de se lever. Quelle ne fut pas sa surprise quand l’on tapota à sa porte en l’invitant à table pour le repas de midi ! Kome était désarçonné par le temps : il était midi et il se croyait à 6 heures du matin, il cherchait en vain le soleil au zénith du ciel. Quel pays ! pensa-t-il. Dans l’après-midi, on téléphona à son école pour s’informer sur la rentrée. Le retour de l’information obligea Kome à partir le même jour, non sans recevoir de ses hôtes un camembert comme produit de terroir. Kome perçut « produit du terroir » comme « produit précieux ». Il plaça le camembert dans sa valise, au beau milieu de ses vêtements.

Le lendemain, il se pointa à l’école en plein furie du bizutage (brimade) et se vit indiquer une place dans la foule des bizus (nouveaux venus à l’université). Les meneurs intimèrent l’ordre de se mettre en rang serré et de prendre la direction de la faculté de médecine située à 500 mètres. A destination, chaque bizu devait entrer dans la cave de la faculté de médecine les yeux bandés. Au tour de Kome, il s’engagea dans la cage d’escalier qui menait à la cave en prenant toutes ses précautions pour ne pas tomber. Au bout des escaliers, il y avait une salle froide et un silence de mort. Une main inconnue lui enleva son bandage oculaire. Kome fut immédiatement pétrifié an voyant au milieu de la salle un cadavre humain dans une bassine remplie de formol. Le cœur serré, il promena furtivement ses yeux autour de la salle et aperçut des macabés séchés, désorbités, disséqués de partout qui se dressaient avec une convergence des regards qui lui arracha un frisson de frayeur. Kome pensa intimement qu’il était entré dans la sorcellerie des blancs involontairement. Cette pensée fut brutalement interrompue par une grosse voix : « bizu nègre, avance ». En plus, les cadavres parlent ! se dit Kome. Englué dans sa conviction d’être en sorcellerie, il décida de se défendre et de vendre sa peau très chère. Dans cette optique, il releva les manches de sa chemise et attendit, prêt à se battre. Brutalement, les meneurs encagoulés et postés entre les macabés se précipitèrent sur lui et l’immobilisèrent en lui donnant de force une potion à boire. C’était un mélange de tout ce qui est comestible et liquide ou semi-liquide : yaourt, jus de fruit, moutarde, mayonnaise…Après ce breuvage insipide, on le dirigea vers les escaliers de sortie. La figure encore grimaçante, il se retrouva dehors avec une certaine satisfaction d’avoir échappé du monde des morts pour celui des vivants.

Trois jours après son arrivée sur le campus, Kome devait normaliser sa situation administrative : il devait se rendre au commissariat pour étrangers, muni de son passeport pour obtenir une carte de séjour. Cette démarche n’était pas facile à cause du nombre important des étrangers dans la ville et le quota de réception au commissariat limité à 20 personnes par jour. Dès 6 heures du matin, Kome s’installa dans le bus en direction du commissariat. Il ne comprenait toujours pas pourquoi il y avait une nuit noire à pareille heure de la journée. Il s’efforça d’oublier ce caprice de la nature européen et se mit à surveiller les arrêts du bus pour ne pas rater le sien. Au commissariat, il y avait déjà une longue queue. Kome ne put s’empêcher de compter les personnes qui le précédaient : il était le 19e susceptible d’être reçu. Il était 7heures 45 quand Kome entra dans l’enceinte du commissariat. Rapidement, un policier vérifia son passeport et lui demanda d’aller au commissariat central pour prendre le dernier document nécessaire à l’établissement de sa carte de séjour. Ce commissariat central se situait de l’autre côté du périphérique (autoroute) de la ville. A hauteur de ce périphérique, Kome regarda à gauche puis à droite et pris l’élan pour traverser. La fréquence du passage des voitures le dissuada. E n même temps, il ne comprenait pas comment il ferait pour traverser la rampe de séparation des deux voies, rendu au milieu. Il décida de s’assoir sur la base d’un poteau électrique et d’attendre que la fréquence du passage des voitures diminua quelque peu. Après 15 minutes d’attente, il reprit l’élan pour traverser mais, la fréquence du passage des voitures avait triplé en cette heure de pointe. Il ne savait plus ce qu’il fallait faire. Par chance, un jeune leucoderme de son âge passait derrière lui d’un pas pressé. Kome n’hésita pas à lui présenter ses civilités en lui demandant comment on traversait la route. Le jeune leucoderme écarquilla ses yeux et regarda Kome des orteils aux cheveux pendant un long moment. Il finit par lui dire : « si vous traversez, vous êtes mort ; c’est interdit de traverser ; vous longez le trottoir et vous aurez plus haut une passerelle pour piétons ; au revoir ». Kome s’empressa de suivre le conseil.

In fine, il obtint une carte de séjour provisoire valable pour deux mois. De retour dans sa chambre d’étudiant, sa pensée ne quitta pas cette expérience de la traversée de l’autoroute. Il prenait conscience qu’il avait failli mourir. Son cœur battit la chamade en imaginant qu’après seulement 3 jours en France, son corps de peu serait dans un cercueil … Il sentit la solitude l’envahir, jamais, il ne s’était senti aussi seul dans la vie. Il aurait voulu évacuer sa peine en le partageant avec un voisin, un frère, un camarade … Hélas, il était seul dans un monde où tout le monde semblait pressé, où personne n’avait un regard pour personne, où on avait pour compagnon sa propre pensée.

Au dixième jour de son arrivée sur la terre française, Kome avait fait la connaissance de quatre compatriotes dans sa résidence et partageait avec eux les vicissitudes de la vie en exil. Progressivement, il sentit une odeur pestilente dans sa chambre. Il pensa dans un premier temps qu’il s’agissait d’une souris morte et se mit à chercher ce compagnon peu recommandable. Il fouilla partout sans succès. Dans un deuxième temps, il crut que l’odeur venait de ses chaussures et prit la décision de s’en séparer, peine perdue. L’odeur s’accentuait de jour en jour. Il en parla à ses compatriotes et ensembles, ils cherchèrent la cause de l’odeur désagréable sans succès. Ensembles, ils décidèrent d’aller voir le père Bureau, directeur de la résidence. Le père Bureau fut intrigué par l’idée d’une souris morte dans une chambre de sa résidence. Il était curieux de sentir personnellement cette odeur et se dirigea en compagnie des plaignants vers la chambre incriminée. A dix mètres de la chambre, père Bureau renifla l’air et demanda s’il n’y avait pas un camembert quelque part. Kome sursauta et pensa au camembert « produit du terroir » planqué dans sa valise, au beau milieu de ses habits. Il ouvrit la valise et l’odeur devint insupportable… Le camembert avait coulé sur des vêtements qui portaient déjà des tâches de moisissures…

Au cours de physiques, un vieux professeur indiqua la forme d’une pièce mécanique en la comparant à une châtaigne. Kome vécut un vrai calvaire pendant le cours parce qu’il ne connaissait pas la châtaigne. Ce repère comparatif l’avait complètement perdu. Malgré ses efforts pour accrocher au cours, il resta largué et ce n’est qu’à la sortie qu’il se précipita chez l’épicier du coin pour visualiser la forme d’une châtaigne et reconstruire personnellement son cours le soir venu.

L’hiver était glacial. Les arbres avaient perdues leurs feuilles et chaque jour, Kome regardait par la fenêtre de sa chambre en s’exclamant : « quel est ce pays où tous les arbres meurent en même temps sans que personne ne s’en émeuve ? ». Ce caprice de la nature européenne l’intriguait fortement mais, ne l’empêchait pas de vivre malgré son austérité. C’est ainsi qu’emmitouflé dans son gros manteau, Kome alla un jour se promener. Son chemin passait à côté du consulat d’Allemagne non loin de sa résidence. C’était l’époque où la bande « d’Albader » sévissait en Allemagne avec des actes de terrorisme épouvantables. Le consulat était gardé par des policiers en alarme permanent. Kome passait par là et comme il faisait froid, il avait mis sa main gauche dans la poche du manteau et sa main droite dans la fente entre deux boutons. A quinze mètres des policiers, quelle ne fut pas sa surprise quand il entendit : « haut les mains, sortez vos mains doucement ou je tire ». L’effet de la peur et de la surprise retira toutes ses facultés de réflexion et Kome leva ses membres supérieurs aussi vite qu’il put. « Je vous ai dit doucement » rudoya le policier, pistolet au point. « Oui monsieur » répondit Kome en tremblant. On le fouilla de fond en comble pour s’assurer qu’il n’était pas armé. L’ordre lui fut donné de continuer sa route mais, au lieu de la continuer, Kome fit demi tour pour rentrer à sa résidence. Il entra chez lui, les tripes nouées, les muscles figés et le corps coagulé par le froid et la peur. De nouveau, il sentit la solitude, comme si la mort était venue en personne l’inviter dans son monde inconnu. Au gré des mésaventures, la nouvelle vie de Kome ressemblait à une marche sur les œufs et il prenait ses précautions pour ne pas en casser. Enfermé dans un carcan de prudence inouïe, le début du printemps s’installa vite. Les feuilles des arbres repoussaient tellement vite que Kome se leva une nuit pour essayer de les voir pousser. Il sentait bien que le soleil était de plus en plus chaud mais, n’accordait aucune confiance à la nature capricieuse qu’il venait d’expérimenter. C’est ainsi que l’été trouva Kome toujours emmitouflé dans son manteau par peur d’une réapparition de l’hiver qu’il redoutait au dessus de tout.

Enthousiaste à l’idée d’étudier ailleurs, Kome n’avait pas pensé aux difficultés d’ailleurs qui le forceraient à s’adapter et à s’intégrer. C’est dans la douleur de cette adaptation qu’il va repenser à son pays natal en voyant ses bons côtés, voire en les idéalisant. Attention Kome, il ne faut pas trop idéaliser car, tu risques de vivre la même chose à l’inverse quand tu rentreras chez toi.

1 Message

  • Magnifique Histoire Elle restera éternellement Dans notre mémoire l’écrivain notre Dr E. TATOU se repose en paix et son œuvre se perptuera Elise N.N

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