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Chagrin d’amour

mardi 30 décembre 2008, par Tatou

Question ouverte

La question mérite d’être posée puisque je ne compte pas dans ma promotion plus de trois couples formés par un homme et une femme de la même promotion. Pourtant, on peut affirmer sans risque de se tromper que les garçons étaient amoureux secrètement. A chaque conversation entre eux, il y avait une fille en vedette dont la beauté et l’élégance étaient décrites d’une voix langoureuse, avec des mots imagés et une frilosité symptomatique du sentiment.

Les filles étaient-elles amoureuses ? Je ne sais pas car, ce qu’elles se disaient entre elles étaient tout aussi secret et nous aurions payé cher pour le savoir. C’est donc à elles de nous dire et de nous instruire à ce sujet. Nous attendons de les lire. Vous avez compris qu’il s’agissait d’un amour platonique, caché dans le cœur de chacun, s’exprimant par un regard furtif et admiratif de la dulcinée.

Jeudi après-midi

Le jeudi après-midi (consacré aux activités sportives) était marqué de deux cornes de diable pour les amoureux. C’était la période choisie par les grands garçons du collège ou du lycée de Manengouba pour venir tourner autour des filles. Un véritable choc pour les amoureux dont le cœur se décrochait pour s’installer dans le ventre sous forme d’une véritable boule noueuse. Ce noeud commençait à tordre les intestins lorsque le supplicié voyait la dulcinée en causerie "intime" avec un grand garçon plus fort, et nettement mieux habillé. La douleur ressentie, réprimée et enfermée était "mortelle". Elle broyait de l’intérieur de façon chronique, rongeait et déchirait aussi longtemps que l’on n’avait pas reçu un sourire, un petit geste d’attention ou une parole réconfortante de la dulcinée. Le sentiment amoureux des garçons d’une même promotion suivait ainsi son cours, rythmé par les jeudis après-midi, puis la sortie de l’ornière rythmée par le sourire de qui vous savez.

Conflit intérieure Tout cela nous mène vers un constat pas complètement clair dans la mesure où nous ne savons pas ce que ressentaient les filles ni à quoi elles pensaient. Toujours est-il que vu du côté d’un garçon, dans une même promotion, les filles avaient tendance à regarder vers les garçons des classes supérieures, voire à en tomber amoureuses, pendant que leurs camarades de classe garçons gardaient au fond d’eux-mêmes un sentiment qu’ils réprimaient soit par timidité, soit par lâcheté, soit par l’incapacité ressentie de concurrencer les aînés des classes supérieures plus en verves.

Le choc des cultures Cette situation anachronique qui nous fait rire aujourd’hui n’en est pas moins l’expression d’un choc des cultures sur la conception de l’amour, dont nous avons été involontairement les acteurs. Le choc des cultures suppose une confrontation entre deux conceptions que nous nommerons Européenne et Africaine de l’amour. Dans la tradition fondamentale en Afrique, l’amour est un concept qui survient avec le temps et s’impose à deux personnes dont les ascendants se sont estimés de générations en générations dans un savoir vivre et dans un comportement social jugé honorable. Partant de ce principe, l’amour est une conséquence de l’union ( normée par l’estime entre deux familles sur plusieurs générations)et non une cause. L’union entre deux personnes devient un symbole sacré de l’union entre deux familles. La norme familiale devient une garantie du cheminement correcte des deux époux. Dès lors que deux familles s’apprécient depuis des générations et ont des racines socialement encrées dans la bonne direction, peu importe qui (fille ou garçon) d’une des familles sera uni à l’autre (fille ou garçon) de l’autre famille. On estime que deux graines provenant chacune d’un bon fruit ne peuvent produire qu’un bon fruit. En général, la fille est plus jeune mais mature alors que l’homme à qui on va l’unir (qu’elle n’a même peut-être jamais rencontré) est plus âgé et mettra son expérience et sa force de travail à la recherche des nécessités de la survie familiale. Dès l’installation du couple, les bons profils des deux éléments interagissent et au fur à mesure du temps, arrivent le respect, la proximité, la complicité, l’estime et l’amour. Cet amour n’est en aucun cas un coup de foudre, mais plutôt un processus profond, souvent inconscient, qui cimente la vie à deux dans la durée et l’irréversibilité. L’évolution attendue ne peut qu’être ascendante, dans la continuité et dans les normes adoptées depuis des générations dans les belles familles.

La colonisation avec l’arrivée d’une autre culture, a bouleversé ce schéma théorique et progressivement, on a assisté à des changements imperceptibles mais profonds. Au départ, dès qu’une fille naissait dans une famille estimée, et de tenue honorable, la famille prétendante commençait à offrir des cadeau en signifiant clairement ses vues sur le bébé de sexe féminin. Ce positionnement se faisait alors même que l’on ne savait pas à quel garçon serait destinée la petite fille.

Réservation précoce

Une seule certitude était présente : il y aura des garçons à marier plus tard, le temps que la petite fille grandisse et arrive à maturité. Le moment venu, les négociations sérieuses commençaient pour marier la petite fille devenue grande à un garçon célibataire de la même tranche d’âge et de la famille conquérante. Une plus grande pénétration de la colonisation culturelle a favorisé des sauts d’étapes : la famille conquérante ne commençait plus le positionnement dés la naissance d’une fille. Une fille totalement mature, capable de conduire un ménage, était pointé du doigt comme possible future épouse si sa famille était jugée socialement honorable, et les négociations commençaient. Ultérieurement, toujours avec une plus grande installation de la colonisation culturelle, ce ne sont plus les familles qui déclenchaient les négociations en vue d’un mariage. Les deux prétendants se sont déjà rencontrés et se connaissent à travers un concept nouveau : l’amour. Ils vont alors essayer d’entraîner les familles vers leurs union. Mais avant d’aller plus loin, il faut ici décrire l’amour Européen.

Analyse sommaire Tout commence par une perception visuelle et peut-être une analyse sommaire du caractère qui déclenche toutes les autres sanctions entre deux jeunes adultes matures (la limite d’âge est de plus en plus basse). Cela s’appelle le coup de foudre qui plonge les deux individus dans une relation passion caractéristique de l’amour. Ils deviennent inséparables et se promettent toutes le bonnes choses possibles. Les familles, sans être formellement exclues, n’ont pas d’opinion ou de décision à donner. Tout au plus, une approbation ou une désapprobation peut être formulée sans que cela change le cours des évènements. Ce bouquet sentimental s’engage vers les fiançailles, premier engagement de l’un vis à vis de l’autre (cela ne concerne toujours que les deux amoureux) , suivi du mariage qui légalise les engagements et les installe en couple. Une des caractéristiques de ce procédé est la rapidité du déroulement des évènements qui peut aller de quelques mois à une ou deux années. Dans le dernier cas, le retard est causé par une difficulté incontournable du genre service militaire, profession à distance... L’autre caractéristique est que tout repose sur les épaules des deux amoureux. Ils sont isolés dans la bulle de l’amour où tout est merveilleux à l’instant "t" où ils y sont. Ils ont à eux seuls l’entière responsabilité de ce qu’ils vivent.

La dernière caractéristique est que les familles accompagnent au gré de la volonté du couple et ne sont en aucun cas des acteurs déterminants. De même que la base du couple repose sur les deux individus, l’avenir, la durée, l’harmonie et la réussite dépend d’eux seuls. L’amour ne souffre d’aucune considération sur les ascendances des deux familles. Ici, l’amour est la cause de l’union et non sa conséquence. Mais, d’où vient -il qu’au collège Sainte Jeanne d’Arc comme ailleurs, nous soyons les acteurs involontaires d’un choc des cultures ? On ne choisit pas où on naît ni le moment propice pour naître. Ceci dit, il ne nous reste plus que notre capacité d’analyse pour comprendre et réagir par rapport à ce qui nous arrive. Les sentiments réprimés des garçons que nous avons décrit plus haut n’étaient rien d’autre que l’expression de l’acculturation de l’amour. Ils n’osaient pas montrer ces sentiments tout simplement parce qu’ils ne cadraient pas avec la conception traditionnelle, au risque d’essuyer le désaccord parental et d’affronter les conséquences d’une incongruité sociale. Les filles regardaient les plus grands, socialement positionnés, à la recherche de cette assurance, spectre du dispositif familiale ancestrale qui ôtait une grande partie des responsabilités et permettait de s’intégrer dans la vie de couple sans trop se poser des questions. Elles ont gardé en elles (de façon inconsciente) cette envie de protection que procure l’homme et le carcan familial. Cette envie les pousse naturellement vers une personne réussie en refusant l’aventure incertain avec un compagnon d’âge qui n’a encore rien prouvé et qui se cherche. Mais, cette recherche de l’accompli n’est qu’une étape du cheminement passant par le "traditionnel like". Rapidement, une incursion dans l’acculturation de l’amour fait entrer dans le coup de foudre ou tout simplement dans l’amour à l’Européenne. Avec son amoureux, ils reviendront vers les familles à la recherche d’une bénédiction traditionnelle. Le bras de fer commence. La famille rejette l’un des membres du couple pour des raisons plus ou moins claires, et refuse toute évolution du couple. Si le couple se soumet à cet arbitrage, c’est la séparation et la blessure de n’avoir jamais légalement goutté au fruit défendu. Le couple peut choisir de passer outre l’arbitrage familiale et devra vivre dans l’impression de déguster un fruit défendu à perpétuité. Si la famille accepte de suivre le couple dans sa bulle d’amour, l’évolution continue son cours avec toutefois une responsabilité familiale tronquée par rapport à ce qu’elle aurait pu être traditionnellement parlant. On assiste alors à des incursions familiales acceptées ou non dans la vie du couple. Les garçons de la promotion finiront par oublier la dulcinée, partie avec un plus grand. Son cœur remontera pour prendre une place plus confortable dans la poitrine, et ceci d’autant plus facilement qu’une fille de la promotion inférieure en sera amoureuse. Le système va ainsi se perpétrer de promotion en promotion, dans un choc frontal des cultures mal identifié, à la recherche d’un compromis naturel qui tarde à venir. Mais, nous sommes nous posés les bonnes questions sans circonstances atténuantes ? Il n’est jamais trop tard pour trouver les bonnes solutions.

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